OPP des Alpilles
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En 2010, le Parc Naturel Régional des Alpilles me confie la conduite de la mission photographique de l’Observatoire des Paysages. Après avoir réalisé la campagne photographique initiale au printemps 2011, j’ai re-photographié une dizaine de points de vue durant l’hiver 2012 avant d’assurer une reconduction complète des cinquante points de vue de l’Observatoire lors d’une troisième campagne au printemps 2013.
Construire un regard photographique sur le paysage quotidien des Alpilles afin de questionner les représentations que chacun en a. Ainsi peut-on exprimer l’objet de cette commande inscrite dans la continuité des missions photographiques de paysages engagées en France à partir des années 1990.
OPP Haute-Savoie
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Ces lieux où nous vivons
La production de représentations paysagères, qu’elle passe par la photographie ou par toutes autres formes artistiques, relève d’une rencontre.
Ma rencontre avec les paysages de Haute-Savoie précède le moment où le Conseil d’Architecture, d’Urbanisme et de l’Environnement de Haute-Savoie m’a passé commande en 2012. J’ai en effet vécu durant cinq ans à Annecy au début des années 2000, le temps pour moi de découvrir un territoire que je ne connaissais pas. Dans ce contexte, professionnellement comme personnellement, j’ai bien vite été amené à considérer de façon nouvelle la notion de « cadre de vie ». Extrêmement présent dans nombre de mes échanges interpersonnels de l’époque, le « cadre de vie » était fréquemment convoqué tout à la fois comme donnée originelle et intangible. Envisagé le plus souvent comme valeur commune et positive ayant généré le désir d’installation de mes interlocuteurs dans la région, le « cadre de vie » était le cas échéant perçu
comme « menacé par le développement urbain ». Le « paysage », et le « paysage montagnard » en particulier, occupaient dans ces propos une place centrale, faisant l’objet de toutes les attentions, de toutes les fiertés. Entrant en une résonance remarquable – et surprenante à mes yeux – avec les leitmotiv de la promotion touristique locale, le « paysage » ainsi convoqué au quotidien devenait bien souvent le support d’une ardente célébration du rural, du bucolique et de l’authentique haut-savoyard et le cadre propice à la pratique des loisirs en général et à celle des sports de plein air en particulier.
Ces représentations se heurtaient alors à ma propre perception de paysages certes bien souvent remarquables, parfois même exceptionnels et emblématiques, mais très largement marqués, si ce n’est façonnés, par les effets combinés d’un dynamisme économique soutenu, notamment favorisé par une situation transfrontalière privilégiée, et d’une puissante attractivité touristique.
En tant que photographe, je m’intéressais alors tour à tour aux paysages locaux sous l’angle de leur transformation, de leur consommation ou de leur fabrication, la question des « modes d’habiter » venant progressivement sous-tendre ma démarche alors naissante.
Ainsi, lorsque quelques années plus tard, le CAUE me confie la réalisation des séries de
l’Observatoire photographique des paysages de Haute-Savoie, commande envisagée selon une orientation claire ayant comme objet central des « paysages quotidiens, en évolution constante et qui constituent notre cadre de vie », j’y vois l’opportunité de donner corps à des intentions photographiques antérieures.
Dès l’engagement de la première campagne photographique en avril 2012, cet élan
photographique intime s’est logiquement retrouvé contenu par le lourd cadre méthodologique imposé par la démarche d’Observatoire. Parvenir à faire tenir ensemble richesse documentaire, potentiel analytique (valant non seulement pour aujourd’hui mais aussi pour demain) et autonomie formelle de l’image ne va pas de soi et le fait de combiner ces diverses exigences s’avère même, dans nombre de cas, illusoire. Dans le même temps, je trouvais à m’accommoder des visées opérationnelles et des attendus politiques du CAUE, ce dernier m’offrant le cadre et l’opportunité rare de faire l’expérience des paysages à une échelle départementale, tout en m’octroyant une belle liberté de ton.
Durant les cinq années au cours desquelles se sont déployées, en campagnes photographiques successives, les prises de vue initiales de l’Observatoire, j’ai eu le sentiment de parcourir un territoire de l’hypermobilité où partout, dès lors que l’on s’attache au paysage vécu, s’impose, à des vitesses certes différentielles, un modèle de développement de type urbain. Des collines de l’Avant-Pays jusque dans les fonds de vallées du Chablais, je me suis attaché à documenter le surgissement ininterrompu de divers motifs et marqueurs paysagers propres au modèle urbain.
À l’échelle d’un département dont le territoire est à 87 % classé en zone de montagne,
m’attacher au paysage quotidien, au paysage familier, m’a bien souvent conduit à photographier depuis la plaine, depuis les piémonts plutôt qu’au coeur des massifs. Préférant me concentrer sur les interrelations et interactions paysagères plutôt que sur tel ou tel objet paysager, je me suis d’une façon générale bien souvent intéressé à des seuils, à des « entre-deux », à des espaces de friction. Cherchant à traduire l’imbrication du paysage ordinaire et du « grand paysage », surgissant ici ou là en « toile de fond », en une tentative d’embrasser simultanément « paysage vécu » et « paysage remarquable », c’est de façon répétée par les marges, par les lisières que j’ai
tenté d’appréhender le territoire mis sous observation. Pour reprendre les mots du photographe italien Guido Guidi : « travailler à la frontière implique de travailler en étant privé de certitudes et d’observer des situations non codifiées, incertaines, ouvertes, mal comprises ou incomprises. »
A bien les observer, les paysages quotidiens nous disent le degré de considération qui leur est réservé par les décideurs et aménageurs en même temps qu’ils nous renseignent sur qui les habitent. John Brinckerhoff Jackon, historien et théoricien américain du paysage, envisage dans nombre de ses écrits les paysages comme des « lieux de vie ». Mettant en tension « paysage politique » et « paysage vernaculaire », il nous invite à considérer les paysages ordinaires comme de signifiants révélateurs des rapports qui se tissent entre économie, territoire et société. C’est une telle approche des paysages, envisagés comme « lieux » (de mémoire, de vie) plutôt que comme « sites », paysages en mouvement plutôt que décors figés, qui est venue guider mon regard tout au long de la commande.
Face au paysage, d’innombrables détails témoignent de l’histoire comme de l’usage des lieux. Simultanément, il est possible d’observer in situ, en un stimulant jeu d’échelle, certains des liens organiques existants entre les diverses composantes du paysage considéré. Ainsi, continuités, discontinuités et autres ruptures paysagères nous renseignent-elles sur les dynamiques socioéconomiques à l’oeuvre. Faisant sur le terrain l’expérience du paysage, me confrontant longuement à cet objet d’étude par essence complexe, j’ai tenté de produire des images-gigognes tout à la fois sensibles, lisibles et non univoques.
Je porte dans ce travail une attention toute particulière à la place que l’Homme occupe dans le paysage, à ces figures humaines qui parcourent l’espace et qui, émergeant ici ou là, nous invitent à entrer dans le paysage représenté. Ce choix photographique permet à mon sens de questionner avec acuité les processus d’adhésion comme les stratégies d’adaptation ou de résistance de l’homme à son environnement. Pour le dire autrement, la présence de ces figures dans l’image nous aide, me semble-il, à observer avec une attention renouvelée et dans une certaine intimité, la place que l’individu trouve à occuper dans l’espace commun contemporain.
Une telle intention photographique est plus largement à inscrire dans une approche
ethnologique du paysage ; approche qui tend à replacer l’usager, avec ses pratiques et sa culture propre, au centre des représentations paysagères.
C’est afin de mieux suivre les mutations territoriales en cours, d’imaginer collectivement des perspectives désirables et de possibles modes d’action innovants que le CAUE de Haute-Savoie a souhaité mettre en place un Observatoire Photographique des Paysages à l’échelle départementale. Dans ce cadre, mon intention en tant que photographe a été de saisir quelque chose de l’histoire des lieux sur lesquels je me suis arrêté tout en m’attachant simultanément aux signes révélant les permanences observables comme les transformations paysagères à l’oeuvre. Passer par la production de prises de vue – acte par essence furtif – pour interroger le temps long du paysage, voilà pour ainsi dire résumée l’ambition qui est celle du photographe qui intervient dans le cadre d’un tel Observatoire. Or, cette tentative – telle que je l’envisage – me
semble répondre à un impératif dés lors que les paysages quotidiens sont placés au centre de l’attention : celui de poursuivre la nécessaire représentation de paysages qui, pour d’aucuns, ne seraient pas, ou plus, reconnaissables ni donc représentables. Pourtant, ces paysages du quotidien et de l’ordinaire, bien souvent envisagés comme les témoins insultants d’un paradis paysager perdu à jamais ou jugés comme de « mauvais paysages » me semblent devoir être envisagés avec la même attention que ceux, grands paysages au sens classique du terme, qui suscitent émoi esthétique et élan touristique. En effet, à l’aune des « beaux paysages » qui, si l’on prend le temps d’interroger leurs structures, témoignent des liens qu’Homme et Nature ont noué au fil des siècles, les paysages quotidiens constituent un objet d’étude privilégié pour
interroger l’état des relations que l’Homme entretient avec sa terre.
En tant que photographe, l’observation de ces espaces où les divers motifs de « l’urbain
généralisé » s’entremêlent progressivement à des milieux naturels de plus en plus technicisés est pour moi la source d’une émotion tout à la fois documentaire et esthétique. Les paysages qualifiés de façon générique d’ordinaires sont pour ceux qui les habitent des paysages familiers.
Ils sont à ce titre bien souvent porteurs d’identité et c’est parce qu’ils nous disent toute la complexité et les contradictions des modes de vie contemporains qu’il s’agit de considérer ces paysages d’où toute beauté n’a pas disparue, de voir ces lieux où nous vivons.
Sylvain Duffard, mai 2019
OPP Guadeloupe
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Observer le paysage, pa.emment et avec assiduité, comme je le fais depuis près de quinze ans dans divers cadres collabora.fs cons.tue une démarche photographique toute en.ère tournée vers l’ausculta.on des usages individuels et des pra.ques collec.ves de l’espace. Scruter ainsi le paysage quo.dien pour y décrypter les manières d’habiter les lieux, les façons de s’y déplacer et d’en consommer les ressources permet à mon sens de décaler u.lement le centre de gravité des aDen.ons habituellement portées au paysage.
En juin 2016, lorsque je suis arrivé en Guadeloupe, c’est avec un sen.ment étrange et ambigu que j’ai découvert ceDe terre française si éloignée de celle où j’ai grandit et où je vis, de l’autre côté de l’océan atlan.que, outre-mer. Et c’est l’esprit chargé des clichés de plages et de coco.ers dont l’imagerie touris.que con.nue d’affubler les An.lles, ces territoires devenus français par les affres de l’histoire coloniale, que j’ai parcouru l’archipel Guadeloupe.
Les lieux auxquels je me suis aDachés, entre 2016 et 2021, disent la violence de ce paradoxe. Les paysages que j’ai considérés, souvent puissants et parfois d’une grande beauté, portent en eux la marque d’une histoire des lieux et témoignent des instabilités économiques, sociales et environnementales à l’oeuvre en Guadeloupe. Ces paysages français, ces paysages créoles, prennent parfois même des accents américains, ce que ne contredit pas la géographie des lieux. Ils témoignent de l’iden.té contemporaine mul.ple de ce territoire de la Caraïbe et donnent à voir la façon dont l’urbain gagne sur le rural, ainsi que l’uniformisa.on progressive des architectures comme des paysages qui l’accompagne ; évolu.on inéluctable que semble tout juste contrarier, ici ou là, les résistances obs.nées du végétal.
Sylvain Duffard
Vitry-sur-Seine, le 17 avril 2022
Les places du Grand Paris
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« À partir d’un certain nombre de portraits composites des sites d’accueil des futures places du Grand Paris, un recours à la photographie permet d’aller vérifier in situ la prégnance de certains éléments, d’attester de la perception, ou d’ailleurs de la non-perception des éléments d’accroche tangibles à ce substrat tant historique que géographique : la lecture des horizons lointains, la présence d’affleurements rocheux, l’émergence de végétation spontanée, des cadrages spécifiques sur des éléments de patrimoine historique.
Sylvain Duffard développe depuis plusieurs années une démarche photographique à même de capter simultanément la notion d’échelle (le proche / le lointain) et celle du mouvement (les dynamiques en cours, le positionnement de l’observateur).
Le protocole mis en place a consisté en un arpentage des secteurs des gares à la recherche d’indices susceptibles de faire ressentir l’appartenance à un terroir
urbain, notion qui combine les valeurs de substrat historique et géographique, et qui est au coeur de notre démarche collective. Sylvain Duffard a parcouru les sites sans connaître les raisons de leur sélection. Son travail permet de confronter au réel (entendre ici au sens de l’espace vécu) les premiers axes d’analyse, et ainsi affirmer -ou infirmer- le postulat de la perception de l’appartenance au terroir. »
In « Atelier des places du Grand Paris, Premiers éléments de scénarisation », Agences TVK / TN+, juin 2017
Chantiers patrimoniaux
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Commandes régulières de l’Opérateur du patrimoine et des projets immobiliers de la Culture (Oppic)
L’Oppic, établissement public national placé sous la tutelle du Ministère de la Culture, s’attache à constituer une mémoire photographique des projets pour lesquels il est missionné.
C’est avec un réel enthousiasme que j’ai intégré fin 2020 le pool de photographes de l’Oppic et m’attache depuis à documenter, de façon tout à la fois rigoureuse et personnelle, les opérations dont on me confie le suivi en Ile-de-France et dans les Hauts-de-France.
Architectures habitées
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Commande du Conseil d’architecture, de l’urbanisme et de l’environnement du Val-de-Marne / CAUE 94
Le CAUE 94 a pensé le palmarès « Architectures habitées » avec l’intention d’affirmer l’importance de l’architecture et son rôle dans la fabrication d’un cadre de vie de qualité. 25 projets de construction, de transformation, de rénovation ou d’agrandissement étaient en compétition pour cette première édition. 10 ont été primés par un jury spécialement constitué pour l’occasion (institutions partenaires, collectivités, professionnels représentants de la maîtrise d’œuvre, architectes et personnalités extérieures).
Missionné par le CAUE 94, j’ai porté mon regard sur ces 10 opérations avant une intention double. Celle de rendre grâce aux qualités architecturales de chaque projet (principes constructifs, matériaux, qualités d’usage) tout en prenant un soin tout particulier pour les situer dans leur contexte urbain.
Marseille, face B
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La série Marseille, face B a été réalisée à Marseille, en avril 2006.
Je porte ici un regard sur le secteur de La Corniche, espace résidentiel situé en front de mer, « calme et très côté » comme aiment à le vanter les agences immobilières phocéennes.
C’est en partant de la vision bien souvent véhiculée de Marseille vue comme « Ville mosaïque, métropole pluriculturelle, bouillonnante, » que je me suis intéressé à ce territoire, à sa structure et à la place que ses résidents y occupent.
Paysages marocains
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Cette série a été produite au cours de l’année 2008 dans le cadre de trois résidences d’artistes, à l’invitation des Instituts français d’Agadir, de Fès et de Tanger et avec le soutien des Affaires Culturelles de l’Ambassade française au Maroc.
Une sélection de photographies issue de ce travail a été présentée dans le cadre de l’exposition « Archi-balnéaire, l’horizon vertical », 30 photographies grand-format dans les jardins de la Villa Rothschild-Ville de Cannes, de juillet à septembre 2009 au côté des photographies de Gabriele Basilico, Bernard Plossu, Brigitte Bauer et Patricia Di Fiore.
La forêt habitée
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Les forêts, à l’image de la grande majorité des espaces naturels terrestres, ont été progressivement occupées et modelées par l’homme au cours des siècles. L’histoire de la forêt est ainsi indissociable de ses rapports avec l’homme.
Après avoir au Moyen Age projeté sur la forêt nombre de peurs et de croyances, l’homme l’a peu à peu reconsidérée puis investie pour alternativement la jardiner, l’exploiter ou la préserver. Entre approche utilitariste et élan contemplatif ou spirituel, l’homme s’efforce désormais de trouver un juste et durable équilibre entre les divers usages qu’il fait du milieu forestier et de ses ressources.
Que vient faire aujourd’hui l’homme en forêt ? Que représente l’espace forestier pour celles et ceux qui le fréquentent ? Ceux-ci s’aventurent-ils au cœur des massifs, privilégient-ils les espaces aménagés ou ceux situés en lisière ? Comment cohabitent les personnes qui résident sur ces territoires avec celles, de passage, qui viennent y pratiquer leurs loisirs et s’y ressourcer ? Ce sont quelques-unes des questions qui ont animé mon travail photographique sur le paysage forestier français.
Me rendant successivement, entre 2009 et 2010, sur les dix-sept forêts domaniales objet de la commande photographique que l’Office National des Forêts m’a confiée, j’ai confronté mon regard à des territoires forestiers vivants, complexes et contrastés. J’ai observé la manière dont travailleurs, résidents ou vacanciers prennent place dans ces paysages. J’ai simultanément porté mon attention sur les marques – superficielles ou profondes – témoignant de l’action de l’homme sur la nature : celles aisément identifiables dans le paysage tels que barrières, pistes et cheminements, mais aussi celles, souvent plus ténues, lisibles dans la structure même des boisements.
Le paysage forestier français résulte d’un façonnement perpétuel. On porte pourtant sur la forêt, patrimoine vivant, un regard qui me semble souvent figé. La forêt, fantasmée, y est vue comme une nature originelle qui serait menacée par l’activité humaine. Cette vision, parcellaire, vient selon moi brouiller nombre de débats et de questions qui se posent effectivement quant à la gestion, la valorisation et la préservation de ces espaces.